Тютчевой Е. Л., май 1846*
Votre derni`ere lettre, ch`ere maman, nous a un peu tranquillis'e sur votre compte, et cependant il y a en vous une telle habitude de vous d'evouer et de vous renier pour les autres que j’ose `a peine me fier `a cette apparence de calme. Ce qui me rassure encore le mieux, c’est ce sentiment de r'esignation chr'etienne qui est aussi vivant et aussi profond en vous que c’est en vous la facult'e d’aimer et de souffrir… Ce qui me rassure aussi, c’est la pr'esence de Doroth'ee, j’ai respir'e plus librement, en apprenant quvous avait rejoint. Je m’imagine ce qui doit ^etre cette entrevue…
Ch`ere maman, ai-je besoin de vous dire, si je me sens malheureux de n’^etre pas en ce moment aupr`es de vous… Cela a 'et'e sans contredit une des plus grandes contrari'et'es de ma vie… A quelle 'epoque et dans quelle circonstance puis-je esp'erer que mon affection vous sera bonne `a quelque chose, puisqu’elle vous a manqu'e dans un pareil moment… Je sais bien que vous vous me le pardonnez, mais cette fois toute votre bont'e ne me console pas… Il ne fallait pas moins, il est vrai, pour me faire renoncer `a partir sur-le-champ, que la certitude o`u j’'etais qu’il m’aurait 'et'e impossible de revenir `a temps ici pour les couches de ma femme, `a moins de me r'esigner de ne passer aupr`es de vous que quelques jours seulement… et un aussi court s'ejour, empoisonn'e par toute sorte d’inqui'etudes, n’aurait pu faire du bien ni `a vous, ni `a moi. M^eme, en me trouvant sur les lieux, je ne puis, je vous l’avoue, me d'efendre de la plus p'enible anxi'et'e `a l’approche du moment d'ecisif. J’ai beau me dire tout ce que je puis raisonnablement trouver de rassurant. Mais parfois elle se sent si faible, si souffrante, les accidents possibles sont si fr'equents, tout est tellement chanceux et inqui'etant — et mes nerfs, d’ailleurs, sont si dispos'es `a prendre l’alarme, que je ne vis plus que d’inqui'etude et d’appr'ehension…
C’est dans la premi`ere quinzaine de juin que j’attends sa d'elivrance. Ce sera un rude moment. Que le Ciel nous soit en aide…
Enfin j’ai recu aujourd’hui des nouvelles de mon fr`ere. Il vient d’arriver `a Dresde, o`u il s’est arriv'e pour faire une cure de soufre, comme celle qu’il a faite il y a trois ans `a Vienne. Le pauvre garcon ne savait rien encore de notre malheur, mais on voit dans sa lettre qu’il en avait le pressentiment le plus positif et le plus certain. Je n’ai jamais rien vu de semblable. Je ne vous envoie pas sa lettre, parce qu’elle vous ferait trop de peine. Il ne me parle que de ses craintes et de l’appr'ehension, o`u il est, de recevoir de mauvaises nouvelles…
Tout cela, outre le chagrin que cela me cause, me jette dans de grandes perplexit'es. Bien que la cure qu’il a commenc'e aurait fort bien pu, d’apr`es ce qu’il dit lui-m^eme, ^etre ajourn'ee jusqu’apr`es son arriv'ee en Russie — mais puisqu’il l’a commenc'e, je ne voudrais pas l’interrompre. Or, sit^ot qu’il serait inform'e de notre malheur, il ne manquerait pas de tout quitter pour revenir au plus vite, et une aussi brusque interruption pourrait faire du mal `a sa sant'e. Il vaudrait beaucoup mieux pour mille raisons qu’il n’apprit la triste nouvelle qu’`a son retour parmi nous… Quinze jours de retard ne feraient pas une diff'erence sensible. J’esp`ere aussi que vu l’'epoque, o`u il viendra ici, je serai `a m^eme de m’absenter de P'etersbourg, et nous pourrions faire le voyage ensemble, pour aller vous rejoindre. Il est bien entendu que je m’arrangerai de mani`ere `a passer aupr`es de vous, ch`ere maman, plus de temps qu’il me sera possible et peut-^etre m^eme r'eussirai-je `a arranger les choses de mani`ere `a passer tout l’hiver prochain `a Moscou.
Je pr'evois que l’'etat de nos affaires r'eclamera de quelque parti d'ecisif `a prendre et que tout ceci n'ecessitera un s'ejour de plusieurs mois, `a port'ee les uns des autres… Mais en attendant, que Dieu veille sur vous, ch`ere maman, vous prot`ege de Sa mis'ericorde et vous conserve `a vos enfants…
Mes amiti'es les plus tendres `a Doroth'ee et `a son mari.
T. T.
Ваше последнее письмо, любезнейшая маминька, несколько успокоило нас на ваш счет, и однако вы так привыкли жертвовать собой и забывать себя для других, что я едва смею поверить в то, что все благополучно. Что меня несколько подбадривает, это чувство христианского смирения, которое в вас столь же сильно и глубоко, сколь ваша способность любить и страдать… Успокаивает меня также и присутствие с вами Дашиньки. Я вздохнул свободнее, узнав, что она с вами. Представляю себе, каким было это свидание!..