Мой дорогой ангел, милая моя кисанька, пишу тебе эти несколько строк наспех, чтобы уведомить тебя о своем прибытии. Я не знал, что сегодня почтовый день и что следующий будет только в субботу. Итак — подробности откладываю до субботы. К счастью, в Москве меня ждало твое драгоценное письмо, оно меня опередило. Одно оно способно было развеять усталость от ужасного путешествия, которое я совершил. Родители мои, особенно маминька, поручают передать тебе сердечный поклон. Маминька засыпала меня вопросами о тебе и сразу же завладела портретом Мари. Представь себе, что когда эта добрая старушка, рыдая, бросилась мне на шею — первыми ее словами было,
Однако повторяю — до субботы. Через четыре дня ты получишь вполне удовлетворительное по объему письмо. А сейчас у меня есть время только на то, чтобы запечатать письмо и поцеловать тебя и детей. Милая кисанька моя, разлука — страшная вещь.
Тютчевой Эрн. Ф., 14/26 июля 1843*
Moscou. Ce 14 juillet
Ma chatte chérie, que ne suis-je déjà à la 4ième
page de ma lettre et que c’est un lourd poids sur ma pensée que cette horrible distance qui nous sépare. Il me semble que j’ai tout un monde à soulever pour pouvoir te parler. Voici de ta chère écriture sous ma main, sous mes yeux, et cette chère main qui a tracé ces caractères, que fait-elle en ce moment? L’absence pour qui sait la sentir est une énigme inexplicable.Hier, le 13, entre deux et trois heures de l’après-midi, j’aurais beaucoup donné pour t’avoir à mes côtés. J’étais au Kremlin. Que tu aurais goûté et senti ce que s’offrait à mes yeux en ce moment. J’en prends à témoin Mr de Custine lui-même qui certes n’est pas suspect. C’est un spectacle unique dans le monde. Je te renvoie au troisième volume de son ouvrage, toi qui sympathises avec Prague, qu’aurais-tu dit du Kremlin.
De là je suis allé visiter la maison qui a appartenu à mon père et où s’est écoulé toute ma première jeunesse*
. C’était comme un rêve et comme je me suis senti vieux et usé en m’éveillant. Il a fallu me ressouvenir que je t’avais pour m’empêcher de sentir mon cœur défaillir et se dissoudre. Mais il est absurde de chercher à rendre ces impressions-là. Il y en a parfois de bien pénibles. Chaque fois que je suis sur le point de revoir une personne connue, j’éprouve une anxiété indicible. Non, je ne me suis jamais imaginé les ravages que vingt années opéraient sur la pauvre machine humaine. Quel horrible sortilège. Des personnes dont l’aspect des localités avait avivé le souvenir en moi, au point que je m’imaginais ne les avoir quittées que la veille, apparaissaient maintenant à mes yeux à peu près méconnaissables sous la flétrissure de l’âge. Ah l’horreur! Il m’est impossible de regarder toutes ces figures édentées, délabrées et pourtant si connues, sans croire à quelque horrible sortilège. Hier encore j’ai eu un de ces échantillons sous les yeux. C’était mon maître de langue russe* que j’avais laissé il y a vingt ans dans la force de l’âge et que j’ai retrouvé avec une petite figure vieillette privé de presque toutes ses dents et grimaçant pour ainsi dire sa physionomie d’autrefois. Je n’ai pu encore me remettre de la secousse. Et ai-je besoin de te dire qu’à chaque secousse semblable mon cœur se serre et se rejette vers toi. Et toi aussi tu vieilliras. Et il me semble qu’en mon absence, tu es plus complètement, tu es plus irrésistiblement livrée à l’horrible action de cette maladie qui s’appelle le temps.Ma pauvre chatte, que ne donnerais-je pas pour te revoir un seul petit instant. Combien cela me rassurerait.