Mercredi. 19 avril 1867
Ma fille ch'erie. Puissent ces quelques lignes, qui te parviendront la veille de ta f^ete, te trouver dans un 'etat de sant'e tol'erable et dans une disposition d’esprit quelque peu calme et repos'ee. Je n’ai pas besoin de te dire combien je souffre de tous les tracas et tribulations dans le pr'esent et de tes appr'ehensions pour l’avenir… et cela au moment o`u tu aurais eu besoin de la plus enti`ere tranquillit'e et s'ecurit'e d’esprit et d’^ame… Ah, que tu 'etais plus calme le jour o`u j’ai fait ta premi`ere connaissance, il y aura apr`es-demain tant et tant d’ann'ees… Tu 'etais si calme, si recueillie qu’il a fallu que ta m`ere elle-m^eme me rend^it attentif `a la signification particuli`ere qu’avait le petit paquet de linge, roul'e et d'epos'e `a ces pieds.
Voil`a de ces horizons r'etrospectifs qui vous font douter de votre identit'e et transforment en r^eve la r'ealit'e qui vous entoure…
Ma sant'e continue `a ^etre mis'erable, voil`a quinze jours que je suis enferm'e, priv'e d’air et de mouvement, ce qui double ma maladie*
— et tout `a l’heure, en m’'eveillant, j’ai senti au pied droit une recrudescence de la m^eme douleur que j’ai tous ces jours-ci et qui m’emp^eche de poser le pied `a terre… Ah, c’est `a se damner… et Пушкин avait bien raison de dire: «Под старость жизнь такая гадость»*.J’aime `a croire cependant que cela finira un jour et assez `a temps pour aller vers vous le mois prochain, vers la mi-mai, `a la suite des Slaves et comme un Slave de plus…*
En attendant vous allez incessamment entrer dans les f^etes, dans les illuminations, dans les acclamations enthousiastes, la sonnerie des cloches, les foules qui se ruent en criant, dans toute l’animation sinc`ere et convaincue de tout un grand peuple qui se sent heureux*
. — En un mot, vous allez assister, sans conviction aucune, mais non sans 'emotion, `a tous les d'etails de l’apoth'eose glorieuse et triomphante d’un gigantesque malentendu… Ainsi soit-il…Hier j’'ecrivais `a ton mari l’'etat des choses, tel qu’on le croyait d'efinitivement arr^et'e*
. Dans la soir'ee cependant j’ai vu le PAu revoir, `a bient^ot, ma fille ch'erie. Embrasse Kitty et dis mille tendresses de ma part `a mon fr`ere… Dis-lui que, si Dieu me pr^ete vie et surtout me rend mes jambes, dans un mois au plus tard je serai au milieu de v
Среда. 19 апреля 1867
Моя милая дочь. Пусть это коротенькое послание, которое ты получишь накануне дня твоего рождения, застанет тебя в сносном состоянии здоровья и в более или менее спокойном и уравновешенном расположении духа. Нет надобности говорить тебе, до чего расстраивают меня все заботы и волнения настоящей минуты и твои страхи перед будущим… и это тогда, когда ты нуждаешься в полнейшей душевной и умственной умиротворенности… Ах, насколько спокойнее ты была в день моего с тобой знакомства, которому послезавтра минет некое число лет… Ты была так тиха и сосредоточенна, что твоей матери самой пришлось указать мне на особое значение маленького полотняного свертка, туго свитого и уложенного у нее в ногах.
Вот такие оглядки на прошлое заставляют вас сомневаться в том, что вы это вы, и преображают в сновидение окружающую вас действительность…