La levée des milices ne doit donc être considérée que sous le double point de vue indiqué, du patriotisme et du recrutement des régiments; c’est donc sous ce point de vue qu’il faut considérer cette mesure relativement aux provinces de l’Estonie, Livonie et Courlande. Il n’existe point de patriotisme chez les paysans de ces provinces, il ne peut pas en exister . Le lette et l’estonien ne sont pas russes, ils ne font pas corps avec la masse de la nation. Depuis qu’ils sont
de l’Empire russe leur esclavage est devenu plus dur et plus anéantissant. L’Impératrice Catherine, qui savait conquérir des provinces, ignorait l’art de les assimiler, l’art de conquérir les hommes. Elle n’a presque rien fait pour la masse de ces deux nations croyant qu’il suffisait de gagner la noblesse; de là les favorisations qu’elle a accordées à ce corps dans ces provinces, dont la Russie murmure encore. L’exemption de recrues qu’elle a continuée pour ces provinces est à cet égard une grande faute politique. Le lette et l’estonien n’ont point pris de part aux succès militaires . Il n’existe aucun lien entre ces nations et la nation russe, par conséquent point de patriotisme du côté des provinces conquises. Quelle est la source du patriotisme russe? – La gloire. Votre nation a autrefois secoué le joug des nations étrangères, a subjugué ses anciens conquérants, a combattu glorieusement, subjugué même des nations voisines. Voilà ce qui forme cet esprit de corps qui, quand il est national, devient amour de la Patrie, la seule espèce de patriotisme qui puisse exister chez un peuple qui ne connait pas la liberté. C’est le patriotisme des français d’aujourd’hui. Le lette et l’estonien est encore moins libre que le russe; le despotisme des particuliers l’a avili, et par l’exemption des recrues on l’a éloigné la cause publique. Les victoires des russes lui sont étrangères; il ne sent que la supériorité de la nation conquérante qui rive les fers dont la noblesse l’a chargé. D’où lui devait donc venir l’esprit de corps, le patriotisme? – Mais je me trompe. Il a un esprit de corps. Il regrette les temps plus heureux pour lui de la domination suédoise, mais cet esprit de corps est l’opposé de celui que nous désirons qu’il ait; c’est l’opposé du patriotisme qu’il devait avoir en ce moment, c’est cet esprit de corps qui lui fait désirer un changement quelconque. Le lette et l’estonien Vous aime personnellement, je Vous l’ai dit. Mais il s’est formé chez eux un proverbe national: l’Empereur est loin de nous, notre seigneur est près; et ce proverbe s’est formé précisément par les soins que Vous prenez d’adoucir son sort. Ce proverbe seul contient et l’histoire de ces soins et la façon de penser de ces deux nations; c’est la juste mesure de leur attachement à l’Empire.