Vous êtes de retour, o mon Bien-Aimé! Votre Parrot est heureux de le savoir, et de pouvoir présumer que Vous êtes satisfait, puisque Vous avez pris un parti décisif2
. J’accours de Pernau ici (je suis en voyage pour visiter les écoles de la Livonie) pourLors de Votre départ je me permis de Vous donner un conseil touchant Votre manière d’être à l’armée. Permettez-moi de Vous en donner un à Votre retour. Votre Parrot Vous parle franchement, avec ce cœur ouvert qui est tout à son Alexandre. Une tendre amitié Vous suit partout et Vous suivra toujours jusqu’au dernier instant de ma vie. Ne la méconnaissez pas sous quelque forme qu’elle se présente.
La paix faite Vous avez des généraux, des officiers de tout grade à récompenser pour le mérite qu’ils se sont acquis. Vous serez en outre obsédé de solliciteurs comme à la fin de la 1e
campagne. Votre Parrot, qui Vous aime sans réserve, Vous supplie d’être cette fois moins facile envers des personnes qui n’avaient peut-être d’autre droit à Vos grâces que leur importunité. Persuadez-Vous bien qu’en ceci rien n’est plus pernicieux que d’agir par motif de convenance. Le mérite doit être récompensé, noblement, autant que possible. Mais la médiocrité, dans quelque haut rang qu’elle se trouve, doit rester obscure. Faire le contraire, c’est diminuer le prix de la récompense, amortir le zèle, enhardir l’avidité. Il est un moyen bien simple pour éviter les soi-disants droits de convenance: déclarez d’abord à Votre arrivée publiquement que Vous n’accorderez de récompenses que pour les actions marquées, connues du public ou de l’armée, que ces actions seront spécialement mentionnées dans le rescript ou diplôme, et que le contenu de ce rescript sera publié par la Gazette de Pétersbourg pour instruire toute la nation des hommes distingués qu’elle produit et l’informer de leurs actions. Cet expédient Vous délivrera des recommandations, importunités etc. Vous êtes prêt à récompenser, mais qu’on spécifie le mérite, et le journal de Benningsen sera Votre source historique.Vous avez autour de Vous des hommes de l’incapacité desquels Vous êtes persuadé. Mettez sans façon à leur place les hommes de tête et de cœur tels que les Ostermann Tolstoi, les Barclai de Tolly etc. Tout le public applaudira à ce changement, quelques cabaleurs en gémiront, Vos alentours en imposeront et Vous-même, Vous Vous sentirez plus grand dans le cercle d’hommes de mérites généralement reconnu. Ne soyez plus condescendant, Vous l’avez été trop longtemps. Votre expérience doit Vous avoir persuadé qu’on ne règne pas par des ménagements. Cette campagne est glorieuse, la fin de la campagne est désavantageuse, quelque soit le traité de paix. Ce n’est pas la faute de Votre armée ni la Vôtre. Vous et elle avez fait tout ce qui était humainement possible pour assurer un succès complet. La faute gît dans l’intérieur, dans les entrailles du gouvernement beaucoup trop relâché pour une aussi forte émotion que la guerre présente. Vous avez manqué de fusils, de poudre, de boulets, de canons peut-être, tandis que Vous avez d’énormes fabriques de fusils et de poudre, tandis que sur la côte de la Crimée Vous avez des bûchers de vieux canons <à réparer>, si mal gardés que deux mille turcs débarqués subitement sur cette côte pourraient les enlever. L’Empire russe a des forces incalculables, mais l’indolence et la rapacité trop peu restreintes paralysent ces forces qui dicteraient la loi bien plus sûrement que celles de Bonaparte. Devenez sévère. Risquez une injustice pour être à coup sûr juste dix fois.
À la conclusion de la paix il faudra un Manifeste. Qui en sera le rédacteur? Cette question est de grande importance. Votre gloire et la tranquillité de l’Empire au-dehors dépendent de ce manifeste. D’un côté le public doit être instruit des circonstances déterminantes; de l’autre les puissances intéressées doivent être ménagées, pour éviter une rupture nouvelle pour le moment. L’auteur de ce manifeste doit non seulement être animé du plus pur patriotisme pour Vous et Votre Empire, mais aussi il doit savoir se placer sous tous les différents points de vue des puissances intéressées, sortir pour ainsi dire des idées en vogue dans notre manière de voir, pour pouvoir peser chaque expression.