Serrant les hobbits avec douceur mais fermeté, chacun dans le creux d’un bras, Barbebois leva d’abord un grand pied, puis l’autre, et il les amena au bord de la colline. Ses orteils en forme de racine s’agrippaient aux rochers. Puis, d’une démarche précise et solennelle, raide, il se porta de marche en marche et descendit jusqu’au sol de la Forêt.
Sans s’arrêter, il partit à travers les arbres d’un long pas mesuré, s’enfonçant dans les bois sans vraiment s’éloigner du torrent, mais toujours grimpant vers les pentes des montagnes. Bon nombre des arbres semblaient endormis, aussi inconscients de sa présence que de celle de toute autre créature qui n’aurait fait que passer ; mais certains frémissaient, et d’autres levaient leurs branches au-dessus de sa tête à son approche. Et tout ce temps-là, tandis qu’il marchait, il se parlait à lui-même en un long déferlement de sons musicaux et ininterrompus.
Les hobbits demeurèrent quelque temps silencieux. Curieusement, ils se sentaient tout à fait à l’aise et en sécurité ; et ils avaient ample matière à réfléchir et à s’interroger. Enfin, Pippin aventura quelques mots.
« Pardon, Barbebois, dit-il, puis-je vous demander quelque chose ? Pourquoi Celeborn nous a-t-il mis en garde contre votre forêt ? Il disait que nous risquions de nous y empêtrer. »
« Hmm, ah bon ! gronda Barbebois. Je pourrais vous dire la même chose, si vous alliez dans l’autre direction. N’allez pas vous empêtrer dans le bois de
« On peut en dire autant de celui-ci. Il a pu arriver malheur à des gens, ici. Oui, malheur.
c’est ce qu’ils disaient autrefois. Les choses ont changé, mais c’est encore vrai à certains endroits. »
« Que voulez-vous dire ? dit Pippin. Qu’est-ce qui est vrai ? »
« Les arbres et les Ents, dit Barbebois. Moi-même, je ne comprends pas tout ce qui se passe, alors je ne puis vous l’expliquer. Certains des nôtres sont encore de vrais Ents, et assez animés, à notre manière ; mais bien d’autres sont de plus en plus somnolents, devenant arbresques, diriez-vous. La plupart des arbres ne sont que des arbres, bien entendu ; mais beaucoup sont à demi éveillés. Certains le sont tout à fait, et quelques-uns deviennent… enfin euh, disons,
« Quand cela arrive à un arbre, on s’aperçoit que certains ont un cœur
« Comme la Vieille Forêt au nord, vous voulez dire ? » demanda Merry.
« Oui, oui, quelque chose comme ça, mais bien pire. Je ne doute pas qu’il subsiste encore, là-bas au nord, une ombre de la Grande Obscurité ; et les mauvais souvenirs se transmettent. Mais dans ce pays-ci, il est des vallées creuses où l’Obscurité n’a jamais été levée, et où les arbres sont plus vieux que moi. Mais nous faisons notre possible. Nous éloignons les étrangers et les téméraires ; et nous formons et nous enseignons, nous marchons et nous arrachons.