Enfin, il posa son bol. « Ah – ah, fit-il. Hm, houm, maintenant, nous serons plus à l’aise pour bavarder. Vous pouvez vous asseoir par terre, et je vais m’étendre : cela empêchera cette boisson de me monter à la tête et de m’endormir. »
Dans le coin droit de l’alcôve se trouvait un grand lit assez bas sur pied, couvert d’une épaisse couche de fougères et d’herbes sèches, mais qui ne devait pas faire plus de deux pieds de haut. Barbebois s’y allongea lentement (avec une légère flexion du bassin tout au plus) jusqu’à être complètement étendu, les bras derrière la tête, de manière à regarder le plafond, où la lumière dansait comme le soleil jouant sur les feuilles. Merry et Pippin s’assirent auprès de lui sur des coussins d’herbe.
« Maintenant, racontez-moi votre histoire, et prenez votre temps ! » dit Barbebois.
Les hobbits lui firent alors le récit de leurs aventures depuis leur départ de Hobbiteville – sans ordre particulier, car ils ne cessaient de s’interrompre l’un l’autre, et Barbebois arrêtait souvent le raconteur pour revenir sur un point précédemment abordé, ou pour faire un saut en avant et les interroger sur la suite des choses. Ils ne firent pas la moindre allusion à l’Anneau et ne lui dirent jamais pour quelle raison ils étaient partis, ni où ils allaient ; et il ne demanda pas à le savoir.
Tout l’intéressait au plus haut point : les Cavaliers Noirs, Elrond et Fendeval, la Vieille Forêt et Tom Bombadil, les Mines de Moria, la Lothlórien et Galadriel. Il leur fit décrire le Comté et ses terres plus d’une fois. Il eut alors une curieuse remarque. « Vous ne voyez jamais, hm… jamais d’Ents par là-bas, à tout hasard ? demanda-t-il. Enfin, pas des Ents, des
« Des
« Oui, hm, enfin non : je ne le sais plus très bien, dit Barbebois d’un air pensif. Mais votre pays leur plairait, alors je me demandais, voilà tout. »
Barbebois, néanmoins, sembla particulièrement intéressé par tout ce qui concernait Gandalf ; et encore plus par les faits et gestes de Saruman. Les hobbits étaient bien désolés d’en savoir si peu de chose : tout au plus, un assez vague compte rendu de Sam leur rapportant ce que Gandalf avait dit au Conseil. Ils avaient au moins une certitude : Uglúk venait d’Isengard, et lui et sa troupe parlaient de Saruman comme de leur maître.
« Hm, houm ! » fit Barbebois, quand, après maints tours et détours, leur récit parvint enfin à la bataille entre les Orques et les Cavaliers du Rohan. « Eh bien, eh bien ! Que de nouvelles vous m’apportez là. Vous ne m’avez pas tout dit, oh non, loin s’en faut. Mais je suis bien sûr que vous agissez comme Gandalf l’aurait souhaité. Il se passe quelque chose de considérable, ça, je le vois bien, et j’apprendrai peut-être ce que c’est à la bonne heure, ou à la male heure. Mais racine et ramille, que c’est étrange, tout ça : un petit peuple surgit de terre qu’on ne trouve pas dans les listes anciennes ; et voici que les Neuf Cavaliers oubliés réapparaissent pour les prendre en chasse ; Gandalf les emmène dans un long voyage, puis Galadriel les héberge à Caras Galadhon, et des Orques les poursuivent à travers toute la Contrée Sauvage : à n’en pas douter, ils semblent pris dans une grande tempête. J’espère qu’ils passeront au travers. »
« Et vous-même, alors ? » demanda Merry.
« Houm, hm, je ne me suis jamais soucié des Grandes Guerres, dit Barbebois ; elles concernent surtout les Elfes et les Hommes. C’est l’affaire des Magiciens : les Magiciens, eux, se soucient constamment de l’avenir. Pour ma part, je n’aime pas m’en inquiéter. Je ne suis véritablement
« Je m’inquiétais autrefois de l’ombre qui planait sur Grand’Peur ; mais quand elle a fui au Mordor, j’ai arrêté un temps de m’en soucier : le Mordor est bien loin d’ici. Mais il semble qu’un vent d’Est s’installe, et peut-être tous les bois viendront-ils bientôt à se faner. Il n’est rien que puisse faire un vieil Ent pour repousser cette tempête : il doit résister ou craquer.
« Mais là, Saruman ! Saruman est un voisin : je ne puis l’ignorer. Je dois faire quelque chose, j’imagine. Je me suis souvent demandé, ces temps derniers, que faire de Saruman. »
« Qui est-il ? demanda Pippin. Savez-vous quelque chose de son histoire ? »