Ananie était satisfait. Avec les frères les plus proches, il accompagna le néophyte jusqu'à la pension de Judas. Ce modeste groupe d'inconnus parcourut les rues baignées du clair de lune, étroitement unis et se réconfortant dans des commentaires chrétiens. Saûl s'étonnait d'avoir trouvé aussi rapidement cette clé d'harmonie qui lui procurait une si grande confiance en chacun d'eux. Il eut l'impression que dans les vraies communautés du Christ l'amitié était différente de tout ce qu'il avait connu dans les rassemblements mondains. Dans la diversité des luttes sociales, la marque dominante des relations s'évaluait maintenant, à ses yeux, par les avantages d'ordre individuel ; alors que dans l'union des efforts déployés à la tâche du Maître, il y avait une véritable empreinte divine, comme si les engagements avaient un ascendant divin, authentique. Ils discutaient tous, comme s'ils étaient nés sous le même toit. S'ils exposaient une idée digne d'une plus grande modération, ils le faisaient avec sérénité et une grande compréhension du devoir ; si la conversation tournait autour de sujets légers et simples, les commentaires étaient marqués d'une joie franche et réconfortante. Aucun d'eux ne donnait l'impression d'être moins sincère dans la défense de leurs points de vue ; bien au contraire, une délicatesse de traitement sans la moindre note d'hypocrisie transparaissait, parce qu'en règle générale, ils se sentaient sous la tutelle du Christ qui, pour la conscience de chacun, est l'ami invisible et présent que personne ne doit tromper.
Réconforté et satisfait d'avoir trouvé des amis dans le vrai sens du terme, Saûl est arrivé à l'auberge de Judas où il les salua tous profondément ému. Lui-même était surpris par l'intimité exprimée à travers ses propos. Maintenant, il comprenait que le mot « frère », largement utilisé parmi les adeptes du « Chemin », n'était pas futile et vain. Les compagnons d'Ananie avaient conquis son cœur Jamais plus, il n'oublierait les frères de Damas.
Le lendemain, il engagea un serviteur indiqué par l'aubergiste. À l'aube, Saûl de Tarse, qui surprit le tenancier par son esprit déterminé, se mit en route vers la célèbre ville située dans une oasis en plein désert.
Aux premières heures du jour, sortirent des portes de Damas deux hommes modestement habillés qui marchaient devant un petit chameau chargé des provisions nécessaires.
Saûl voulut à tout prix partir ainsi, à pied, afin d'initier la vie pleine de rigueur qui lui serait grandement bénéfique plus tard. Il ne voyagerait plus en sa capacité de docteur de la Loi entouré de serviteurs, mais comme disciple de Jésus, astreint à ses idéaux. De ce fait, il se dit qu'il était préférable de voyager comme un bédouin pour apprendre à toujours compter sur ses propres forces. Sous la chaleur harassante du jour, sous les bénédictions rafraîchissantes du crépuscule, sa pensée était fixée sur celui qui l'avait appelé au monde à une vie nouvelle. Les nuits du désert, quand le clair de lune remplit de rêve la désolation du paysage mort, sont touchées d'une mystérieuse beauté. Sous la coupe de quelque dattier solitaire, le converti de Damas profitait du silence pour se plonger dans de profondes méditations. Le firmament étoile détenait maintenant pour son esprit, des messages réconfortants et permanents. Il était convaincu que son âme avait été conduite à de nouveaux horizons, parce qu'à travers toutes les choses de la nature, il semblait recevoir la pensée du Christ qui parlait affectueusement à son cœur.
LE TISSERAND
Bien qu'habitués au spectacle permanent de l'arrivée d'étrangers dans la ville vu sa situation privilégiée dans le désert, les passants de Palmyre avaient remarqué, avec intérêt, le passage de ce bédouin suivi d'un humble serviteur qui tirait un misérable chameau haletant de fatigue. Ils avaient bien évidemment reconnu son profil juif aux traits caractéristiques de son visage et à l'énergie calme qui transparaissait de son regard.
Saûl, quant à lui, avançait d'un air indifférent comme s'il vivait dans ce scénario depuis longtemps.
Informé du fait que le frère de son ancien maître était un commerçant des plus connus et bien nanti de surcroît, il n'eut pas de difficultés à obtenir des informations auprès d'un patricien qui lui indiqua sa résidence.
Il s'arrêta dans une auberge ordinaire pour SEremettre des fatigues du voyage et consulta sa bourse pour organiser son séjour. L'argent s'épuisait, il aurait à peine de quoi rémunérer son compagnon dévoué qui avait été un ami fidèle pendant ce dur voyage. Après s'être informé de la quantité à payer, il constata qu'il n'aurait pas assez pour tout régler et lui dit avec humilité :
Juda, actuellement, je n'ai pas assez pour mieux récompenser les services que tu m'as rendus. Néanmoins, je te donne la moitié de ce que je te dois et le chameau en plus en guise de paiement pour le reste.
Le serviteur lui-même fut ému par le ton humble de cette proposition.