Je n'ai pas besoin de tant, Maître - a-t-il répondu confus -, la valeur de l'animal suffit et va bien au delà. Ainsi, vous ne resterez pas sans rien. Je me contenterai de quelques pièces de monnaie, le nécessaire à peine pour payer mon retour.
Saûl lui lança un regard de reconnaissance et prétextant ne pas vouloir le retenir plus longtemps, il le renvoya avec des expressions de réconfort et tous ses vœux pour un heureux retour à Damas.
Puis, il se rendit dans la pauvre chambre qu'il avait retenue où il se mit gravement à méditer sur les derniers événements de sa vie.
Il était seul, sans parents, sans amis, sans argent.
Peu avant d'avoir pris sa décision de partir à la poursuite d'Ananie, il n'aurait pas hésité à décréter la mort de celui qui aurait prédit l'avenir qui l'attendait. Son existence, ses plans étaient transformés dans leurs moindres détails. Que faire maintenant ? Et s'il ne trouvait pas à Palmyre l'aide de Gamaliel, comme il l'espérait dans ses désirs secrets ? Il réfléchit à l'ampleur des difficultés qui se déroulait devant ses yeux. Tout était difficile. Il était comme un homme qui aurait perdu sa famille, sa patrie et son foyer. Une profonde amertume menaçait d'envahir son cœur. Soudainement, néanmoins, le Christ lui revint en mémoire et le souvenir de la vision glorieuse a rempli de réconfort son esprit désolé. Davantage confiant en celui qui lui avait tendu les mains qu'en ses propres forces, il chercha à calmer ses angoisses profondes, offrant le repos à son corps fatigué.
Le lendemain, de bon matin, inquiet et anxieux il sortit dans la rue. Obéissant aux informations recueillies, il s'est arrêté devant la porte d'un grand édifice où fonctionnaient des maisons commerciales importantes.
Il demanda à parler à Ézéquiel. Il fut bientôt reçu par un homme âgé au visage souriant et respectable qui le salua avec beaucoup de courtoisie. Il s'agissait du frère de Gamaliel, qui fit immédiatement connaissance avec le patricien qui arrivait de loin et entama une conversation amicale. Cherchant délicatement à obtenir des informations concernant le vénérable rabbin de Jérusalem, Saûl recueillait d'Ézéquiel les clarifications nécessaires avec beaucoup d'intérêt :
Mon frère - lui disait-il soucieux - depuis qu'il est arrivé à Palmyre me semble très différent.
Il est possible que le changement de Jérusalem ait influencé cette profonde transformation. La différence d'environnement social, le changement d'habitudes, le climat, l'absence de travaux usuels, tout cela peut avoir affecté sa santé.
Comment cela ? - a demandé le jeune homme sans dissimuler sa surprise.
Il passe des jours et des jours dans une hutte abandonnée que je possède, à l'ombre de quelques dattiers, dans une des nombreuses oasis qui nous entourent ; cl cela, rien qu'à lire et méditer sur un manuscrit sans importance que je n'ai pas réussi à comprendre. En outre, il me semble complètement désintéressé par nos pratiques religieuses, il vit comme un étranger en ce monde. Il parle de visions du ciel, il se rapporte constamment à un charpentier qui s'est transformé en Messie du peuple qui se nourrissait de choses imaginaires, de rêves irréels. Parfois, c'est avec un profond dépit que j'observe sa décadence mentale. Ma femme, toutefois, attribue tout cela
Ézéquiel fit une pause, tandis que Saûl fixait sur lui son regard perçant et significatif, comprenant l'état de son vieux maître.
À un nouveau commentaire fait par le jeune tarsien, l'autre continua, loquace :
Au sein de ma famille, Gamaliel est traité comme si c'était notre père. D'ailleurs, je dois le début de ma vie à son immense dévouement fraternel. Pour cela même, ma femme et moi, nous nous sommes entendus avec nos enfants pour maintenir une atmosphère de paix qui devait entourer ici notre cher et noble malade. Quand il parle des illusions religieuses qui exaltent son déséquilibre mental, personne dans cette maison ne le contredit. Nous savons déjà qu'il perd la tête. Son puissant esprit est défaillant, son étoile s'éteint. Dans ces pénibles circonstances, je rends encore grâce à Dieu de me l'avoir apporté ici pour finir ses jours entouré de notre affection familiale, loin des sarcasmes dont il aurait peut-être été l'objet à Jérusalem où tous ne sont pas en mesure de comprendre et d'honorer son illustre passé.
Mais la ville a toujours vénéré en lui un maître inoubliable - a ajouté le jeune homme comme s'il voulait défendre ses propres sentiments d'amitié et d'admiration.