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Il est resté tout aussi silencieux pendant le retour ; il fixait le macadam, la tête basse, ne la relevant que pour vérifier que j’étais toujours bien à ses côtés.

Nous sommes entrés dans le Raval par l’Arsenal, la porte du quartier côté mer, avant de remonter jusqu’à Sant Pau et la Rambla. Bassam semblait tout d’un coup plus intéressé ; les Pakis se promenaient, en petits groupes ; les Arabes discutaient le bout de gras devant les rades à sandwiches ; les enfants jouaient près du chat géant en métal, se suspendaient irrespectueusement à ses moustaches d’acier, essayaient de le cornaquer comme un éléphant, juchés entre ses oreilles. Je pensais inviter Bassam à dîner dans le restaurant marocain du carrer Robadors, en souvenir de Tanger et du bon vieux temps — d’abord il fallait monter déposer son sac. Il se l’était trimbalé tout l’après-midi sans broncher. C’était un sac de voyage tout bête, en toile avec deux poignées de cuir ; je ne sais pas pourquoi, ça m’a fait repenser à l’attentat de Marrakech, ce sac. J’ai réalisé que je ne savais pas ce que Bassam venait faire à Barcelone. Ni où il repartait. Ni même exactement d’où il arrivait.

À l’angle de Robadors, au coin de la mosquée Tareq ibn Ziyad, deux putains noires avaient le cul posé sur des plots de stationnement ; minijupes en skaï bleu, talons, bustiers, seins à moitié à l’air.

Bassam a eu l’air de heurter un mur invisible en les voyant ; il a changé de trottoir.

L’entrée de notre immeuble l’a fait marrer. Dis donc, mon vieux, la classe ton hôtel. Un vrai palace, khouya. Même chez nous on n’en a pas d’aussi pourris,

la samah Allah.

Je n’ai pas relevé. J’espérais juste qu’on n’allait pas en plus croiser un rat en vadrouille.

J’ai fait les honneurs de notre appartement à Bassam ; je lui ai présenté Mounir, qui se grattait tranquillement les orteils avec la pointe de son couteau devant la télé — Bassam lui a à peine adressé la parole. Juste un salut, une formule vide, une main sur la poitrine, le regard lointain. Mounir m’interrogeait des yeux. Un ami d’enfance, j’ai dit. Il va dormir sur le canapé quelques jours.

Bassam a fait trois fois le tour de l’appart, s’est posé sur le balcon, a observé la rue.

Je lui ai proposé d’aller manger un morceau, il a acquiescé.

En sortant, on est tombés sur deux ivrognes qui pissaient copieusement contre la façade, provoquant les hurlements des mendiants attendant l’ouverture des évangélistes pour leurs cantiques et leurs casse-dalle.

C’était samedi, l’activité péripatéticienne battait son plein au carrefour ; deux ou trois dealers tournaient dans le soir ; un junkie en manque a dégueulé un jet de bile au pied d’un lampadaire, éclaboussant deux cafards gros comme des grenouilles qui sortaient paresseusement du restaurant voisin.

La gargote était presque vide — j’ai salué chaleureusement les tenanciers, je leur ai présenté Bassam, un ami d’enfance de Tanger. Ils lui ont souhaité la bienvenue à Barcelone. Nous nous sommes installés à une table sur le côté ; au fond de la salle, Al-Jazira transmettait en boucle des images de massacres divers, en Syrie ou en Palestine, entrecoupées de manifestations violentes, en Grèce ou en Espagne.

— C’est chouette que tu sois là.

Il était pressé de commander le dîner.

La perspective de la bouffe de chez nous avait ramené le sourire sur le visage de Bassam. L’avoir en face de moi, comme ça, comme autrefois, me ramenait à Tanger, à Meryem. Je ne savais pas comment commencer. Sous la table, ma cuisse bougeait nerveusement.

— Ta mère m’a donné par hasard une vieille lettre de toi. Avec celle de Meryem à l’intérieur. Tu aurais pu m’en parler.

Il a eu l’air très surpris, tout d’un coup, il roulait des yeux affolés, il ne s’attendait pas du tout à ça ; il a fini par prononcer :

— J’avais peur de te faire du mal. Quand tu es rentré je n’ai pas osé. Après c’était trop tard. J’aurais dû détruire tout ça, que tu ne saches jamais.

Il regardait la nappe.

— Tout finit par se savoir un jour, j’ai dit connement. Et j’ai eu honte d’évoquer ainsi le souvenir de Meryem, de la trahir, comme si sa mort était une nouvelle banale, un genre de météo ou le résultat de la loterie des Voleurs.

— Il est bon ici le tagine ?

— Meilleur que celui de chez toi, enfoiré.

Ça l’a fait marrer.

— C’est pas bien difficile, remarque.

Les portions étaient gigantesques, marocaines. Bassam s’est jeté sur la nourriture comme un perdu.

— Judit est malade, j’ai dit.

Il m’a regardé un instant, entre deux bouchées, sans comprendre ; je n’avais finalement pas envie de lui expliquer. J’aurais voulu lui raconter en détail l’Ibn Batouta, le port d’Algésiras, Cruz, les cadavres ; l’agonie de Cruz que j’avais tenue secrète si longtemps.

— Qu’est-ce que tu as foutu pendant tout ce temps ?

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Zone
Zone

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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