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Je marchais devant, dans le sable brûlant ; la lumière était aveuglante, malgré le soir ; le soleil n’était pas encore descendu, là-bas à l’ouest, derrière la rue des Voleurs. Je savais, en ouvrant la marche, que je ratais la tronche et les exclamations de Bassam ; les corps étaient si serrés qu’il nous fallait avancer l’un derrière l’autre, entre les seins nus et les cuisses huileuses. J’ai trouvé un espace libre, à une dizaine de mètres de l’eau ; je me suis jeté par terre. Bassam s’est assis en tailleur, face à la mer ; c’est par là-bas que ça se passe, j’ai dit. Retourne-toi et regarde.

Je lui offrais généreusement la plus belle collection de culs de la terre. Allongées dans la même direction, profitant de la légère déclivité de la plage, la tête vers le haut de la pente, en rangs, sur le ventre pour la plupart mais parfois sur le dos, seins nus ou non, certaines en string, d’autres en chastes maillots une pièce, tout un arc-en-ciel de filles se déployait sous nos yeux — des blanches comme le lait en train de se passer de la crème ; des roses, qui avaient des chapeaux pour protéger leurs visages ; des légèrement hâlées, des bronzées, des noires, un dégradé de fesses, de pubis rebondis dans les costumes de bain, de seins de toutes formes et de toutes couleurs ; je me suis allongé dans le sable, les mains sous le menton : à un mètre de moi j’avais, les cuisses légèrement écartées sur une serviette multicolore, une Nordique dont le cul bien rond commençait à rosir sur les côtés du maillot — on devinait son sexe qui plissait légèrement l’étoffe, la bosselait dans des vagues de douceur où pointaient, à la lisière du tissu, contre la chair, quelques minuscules poils blonds ; ses pieds étaient charmants, les orteils bien plantés dans le sable ; j’avais l’impression d’avoir la tête entre ses jambes et je me suis demandé si mon regard aurait un effet sur ce con si proche ; si, en le fixant longtemps, je parviendrais à l’échauffer, comme le soleil enflamme la paille à force de rayons — avec des lunettes en guise de loupe, qui sait. La fille du Nord s’est gratté le bas du dos, comme si je l’avais dérangée, et j’ai brusquement détourné le regard, par un réflexe idiot — à moins qu’Odin n’ait pourvu ses créatures de capacités inédites, l’œil unique qui m’observait derrière le polyester grenat était aveugle.

Je me suis arraché à ma contemplation : Bassam souriait béatement, toujours assis en tailleur, les mains posées sur les genoux ; il balayait la plage des yeux tel un phare, d’un côté, de l’autre ; sur la jetée passaient les skateurs, les cyclistes ; les vendeurs ambulants arpentaient le sable, au bord de l’eau, proposant qui des bières, des sodas, qui des tatouages au henné, des bijoux de pacotille, des lunettes de soleil, des autocollants du Barça, des casquettes, des écharpes, des serviettes de bain, des gris-gris africains, des beignets, des massages plantaires ou tout cela à la fois, et il était impossible de rester plus de cinq minutes près de la mer sans que quelqu’un ne profite de votre immobilité pour essayer de vous vendre un truc — ces centaines de personnes allongées constituaient un réservoir infini de clients potentiels et abrutis par le soleil. Bassam regardait tout cela, tous ces culs, tous ces seins, tous ces Sénégalais qui se coltinaient leurs marchandises, tous ces néo-hippies qui passaient sur la jetée ; à gauche, le mastodonte éclatant de l’Hôtel Vela

protégeait ces personnages de sa voile de verre et d’acier ; à droite, à l’autre extrémité de la promenade, près du port Olympique, une baleine de métal en fusion paraissait fondre sur la plage, entre la tour Mapfre et l’Hôtel Arts
; au loin, les cheminées de la Centrale de Badalona se perdaient dans un halo de pollution, derrière la plaque de béton brumeuse du Forum des Cultures.

J’ai pensé soudain à Judit, à cette tumeur, à cette injustice du corps. Cette impuissance était aussi amère que le poison de Cruz.

On est restés longtemps, absorbés par la beauté de la ville, de la mer infinie que les voiliers moutonnaient de blanc, jusqu’à ce que le soleil s’enfonce derrière Montjuïc et que les bronzeuses se rhabillent une à une : certaines passaient juste une robe sur leur maillot ; d’autres, plus élégantes, plus âgées ou plus bourgeoises se lançaient dans de lentes métamorphoses, dissimulées par une serviette ; on pouvait apprécier leurs sous-vêtements, tendus d’une main charitable par le mari ou la copine, leur déséquilibre au moment d’enfiler leur culotte, sur une seule jambe, étranges oiseaux maladroits retenant un paréo contre leur poitrine. Une petite brise s’était levée, j’ai dit à Bassam qu’il était temps de regagner la rue des Voleurs, à pied cette fois-ci. Il s’est ébroué pour se débarrasser du sable et a commencé à marcher, l’air désorienté — depuis que nous étions arrivés il n’avait pas prononcé un mot, à tel point que j’avais cru qu’il s’était endormi, en tailleur, comme un Bouddha en méditation.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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