Читаем Rue des Voleurs полностью

On est repartis vers le bas de la ville, et un peu plus loin Bassam est tombé en arrêt face à la vitrine d’une galerie d’art, devant une immense photographie de deux mètres par trois : une scène étrange, huit personnages derrière une table chargée de canettes de bière vides, de verres désuets, de bouteilles de vin, de restes de bouffe, de bols et de cuillères sales, d’emballages froissés, d’alcools, de bricks de jus de fruits, de cendriers débordant de clopes, d’allumettes cramées : deux filles en soutien-gorge debout un joint à la main ; trois mecs torse nu, dont un très velu, à l’arrière-plan, grimpé sur une chaise, coupé aux épaules ; un barbu pensif, à droite, avec une clope, la tête tournée vers les autres, absorbé dans la contemplation du désastre et en face de lui, à l’extrémité gauche, un type à poil souriant à l’appareil, un chapeau sur le crâne, tandis qu’à ses côtés un couple élégant — veston, chemise claire, gilet noir pour la femme — semblait tellement saoul qu’ils devaient se soutenir l’un l’autre, épaule contre épaule, comme les drogués de la rue des Voleurs. Au fond à gauche, une vitre laissait passer une lumière orangée, un éclairage d’apocalypse dont on ignorait s’il était dû au coucher du soleil, au lever du jour ou à une ampoule de cage d’escalier. L’ensemble, dans ces proportions gigantesques, dégageait une force extraordinaire ; un mouvement montait en diagonale depuis le sourire du type au chapeau jusqu’à la poitrine velue dans le coin opposé ; les poils brillaient sur les peaux jaunâtres, les boîtes de bière rouges explosaient sur la table ; les filles en soutifs dentelés avaient des bourrelets, des visages fatigués, des seins lourds ; la blonde bien habillée fermait des yeux cernés, ses longs cheveux filasse dégueulaient sur la crasse de la table, dans les miettes de tabac, les vieilles frites, les taches de vin.

Bassam était tout près de l’image, il observait chacun de ces personnages puis hochait la tête d’un air incrédule, en murmurant ; il a pris du recul pour contempler la photo en entier et s’est retourné vers moi, interrogateur — il a demandé avec un air de dégoût qu’est-ce que c’est ? Une publicité ? ; j’ai répondu en rigolant je ne crois pas, c’est de l’art, mon vieux. Bassam ne rigolait pas, il paraissait effrayé, il m’a dit Lakhdar si tu restes ici tu vas finir comme ça, comme eux, ça m’a fait rire encore plus, j’ai dit Bassam tu es complètement cinglé, il m’a dit tu ne vois pas, c’est une parodie de la sourate de la Table garnie, Ô Dieu Notre-Seigneur, dit ‘Issa, fils de Maryam, fais descendre du ciel une table servie qui soit une fête, pour le premier d’entre nous comme pour le dernier, c’est une ignominie, il avait l’air tout à fait sérieux, effrayé et en colère à la fois.

Je n’y connaissais pas grand-chose en art, mais à part la table, évidemment, il était difficile de voir dans ce cliché quelque chose de religieux, au contraire, c’était totalement décadent, obscène et décadent.

— Mon vieux, tu délires, allez, viens.

Mais il n’arrivait pas à détacher ses yeux de l’image ; il fixait les filles en sous-vêtements, les bouteilles de vin et l’homme au chapeau avec haine — s’il l’avait pu il aurait sans doute brisé la vitrine.

— Tu veux qu’on l’achète, c’est ça ? Tu veux que je demande s’ils peuvent t’en faire une petite copie pour chez toi ? Je te la prends en photo avec mon téléphone ?

Il m’a regardé d’un air furibard, cette chose est une offense à Dieu, ce pays est une offense à Dieu, il a levé les yeux vers le ciel.

— Allez viens, on s’en va.

J’ai commencé à marcher et il a fini par me suivre ; il grommelait des imprécations.

Je savais où il fallait l’emmener pour que ça lui passe. Tant pis pour les risques des transports en commun, on a pris un autobus direction la Barceloneta — quand Bassam m’a demandé où on allait, je lui ai répondu au Paradis. Ça ne l’a pas du tout fait marrer, il m’a sèchement rembarré d’un arrête tes blasphèmes, avant de retrouver son mutisme du début d’après-midi.

En arrivant, il n’a pas pu retenir un sifflement d’admiration devant l’immense hôtel en forme de voile, à l’extrémité de la digue, dont les façades brillaient dans le soleil, et le téléphérique qui traversait le port, à droite, pour se perdre dans la verdeur de la colline de Montjuïc.

— Attends, tu n’as encore rien vu.

Un samedi, je savais que la plage serait noire de monde. J’ai enlevé mes chaussures et j’ai entraîné Bassam vers la mer.

— Qu’est-ce que tu fous, tu vas pas aller te baigner quand même ?

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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