Читаем Rue des Voleurs полностью

J’ai convaincu Bassam de renoncer à son hôtel pour m’accompagner rue des Voleurs — il gagnerait en amitié ce qu’il perdrait en confort. Le Cheikh Nouredine l’y a encouragé, il vaut mieux découvrir une ville avec ses habitants, a-t-il dit en rigolant. J’avais du mal à imaginer que le soir même il serait au milieu d’une foule de nobles et de richards dans des salons élégants, un verre de jus d’orange à la main, à serrer les mains de tous ces Bourbons — lui le bastonneur de mécréants, l’homme qui nous enflammait et nous poussait à la révolte allait dîner peut-être à la même table que Juan Carlos, dont on parlait dans tous les journaux : le Roi s’était récemment distingué au cours d’une chasse à l’éléphant, en Afrique, et des photos du monarque en compagnie d’un pachyderme mort avaient fait le tour de la Toile — cela me rappelait les Mémoires de Casanova, paraissait d’un autre âge. Comme si les monarchies ne pouvaient pas se débarrasser de la violence et de la cruauté ; le Destin les y poussait : dans sa jeunesse, Juan Carlos avait accidentellement tué son frère d’une balle ; son petit-fils venait de se tirer malencontreusement une cartouche dans le pied ; tout un régiment d’éléphants crevés témoignait de la royale passion pour les armes à feu. Au moins, à côté, le Roi du Maroc avait le mérite de la discrétion.

Je me demandais quelle cause justifiait le voyage de Nouredine depuis le golfe Persique pour ce dîner de gala tout droit sorti du XVIIIe

siècle, je n’ai pas osé lui demander.

Il m’avait ramené Bassam, et ça me suffisait.

On a décidé de faire un tour avant de rejoindre le carrer Robadors, Bassam semblait sorti de sa torpeur et ouvrait de grands yeux en découvrant la ville, depuis le temps qu’il en rêvait, le bougre, il lâchait des ah putain putain devant les boutiques de luxe, les avenues, les bâtiments ; il se retournait sur les filles à vélo dont les jupes se relevaient au gré des coups de pédale, sur les mannequins dans les vitrines, sur les passantes fardées, levait la tête vers les immeubles modernistes, se secouait d’un air incrédule face à tout ce luxe et cette liberté, ça faisait plaisir à voir, j’en oubliais presque la maladie de Judit, comme autrefois Bassam me communiquait son enthousiasme enfantin, il n’arrêtait pas de s’exclamer dingue, dément, oh la vache regarde celle-là, quel morceau, mon Dieu quel beau morceau, c’est la folie pure et je lui répondais et encore, t’as rien vu, mon vieux, t’as rien vu, attends, attends. On remontait tranquillement rambla Catalunya, sous les arbres ; je lui ai payé un café en terrasse pour qu’il profite à loisir des demoiselles et de la douceur du printemps, j’avais l’impression que nous étions revenus en arrière, au temps béni de notre adolescence, transportés dans le rêve de Bassam lorsque nous contemplions le Détroit — il me parlait des lumières de Barcelone, des filles de Barcelone, des bars de Barcelone : grâce à sa présence j’avais enfin l’impression d’y être, d’être quelque part, d’être arrivé à destination. Il n’arrêtait pas de se marrer tout seul comme un gosse, et c’était une vraie joie de revoir sa bonne grosse tête de plouc barbu sourire au monde.

— Ben alors, tu étais où, pendant tout ce temps ? Qu’est-ce que c’était que ces messages à la noix que tu m’envoyais ?

— Quoi ? Houla, regarde-moi un peu ces nibards. Rien, j’étais en Orient, avec Nouredine.

— Mais pourquoi tu as disparu comme ça ? Qu’est-ce que tu foutais à Marrakech ?

— À Marrakech ? À Casa tu veux dire ? Mate-moi un peu ces jambes, c’est hallucinant.

— Non, à Marrakech, tu te souviens, le jour de l’attentat ? Judit t’a aperçu, là-bas.

— L’attentat de Marrakech, oui bien sûr que je me souviens. Je ne sais plus, je crois qu’on était en route pour le sud.

Impossible de l’arracher à sa contemplation urbaine. Tant pis, on discuterait plus tard.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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