Читаем Rue des Voleurs полностью

Je me suis approché de la table des deux jeunes filles, ça c’est certain ; je sais que je leur ai adressé la parole ; j’ignore en quel charabia, en quel sabir j’ai réussi à me faire comprendre d’elles ; je sais juste — j’ai eu tout le temps du monde pour y repenser par la suite — que j’avais l’air si sincère, si peu intéressé par elles avec mon histoire de Carmen et Inés, j’espérais tellement qu’elles connaissent cette Carmen et cette Inés qu’elles n’ont rien soupçonné, elles m’ont répondu franchement, et tout cela s’est fait le plus naturellement du monde, et ensuite elles ont bien vu, en entendant Bassam, en voyant la tête de Bassam, que ce n’était pas un piège mais qu’il y avait bien, à Tanger, une Carmen et une Inés qui flottaient dans l’air comme des fantômes, et elles étaient désolées pour nous, mais il pleut, vous savez, ont-elles dit, il pleut et j’ai rigolé intérieurement, je me suis marré en pensant que la pluie, à laquelle on ne fait jamais attention, la pluie peut changer un destin aussi facilement que Dieu lui-même, qu’Allah me pardonne.


En les regardant bien, elles n’étaient pas si identiques que ça, nos deux Espagnoles ; elles venaient de Barcelone, elles s’appelaient Judit et Elena, l’une était plus brune, l’autre plus ronde ; toutes deux étaient étudiantes et arrivaient, miracle, pour passer une semaine au Maroc, en vacances, précisément comme je l’avais imaginé, parce qu’elles avaient des congés d’hiver, ou de printemps, je ne sais plus, mais pour moi c’était le Printemps arabe qui arrivait, qu’on nous envoie des étudiantes sympathiques voilà qui valait toutes les révolutions, des filles dont on imaginait qu’elles portaient des sous-vêtements extraordinairement raffinés et qu’elles étaient enclines à les montrer, sans vous ennuyer avec des questions de famille, de religion, de bienséance ou de bonnes mœurs, des filles riches qui, si elles s’entichaient de vous, pouvaient vous faire franchir ce Détroit luisant d’une seule signature, vous présenter à leurs parents d’un air distrait, voilà mon copain, et le père trouverait avec raison que vous aviez une tête de moricaud mais hocherait le chef comme pour dire ma fille, c’est toi qui décides, et on finirait heureux comme Dieu en Espagne, pays des noirs jambons et porte de l’Europe.

Les yeux de Bassam disaient tout cela, tout cela sauf le cochon, bien sûr ; il regardait la jeune femme devant lui comme un passeport avec des photos de filles à poil à la place des visas, à tel point qu’Elena passait son temps à remonter son tee-shirt sur ses épaules pour cacher son torse, geste que Bassam n’interprétait pas comme de la pudeur, mais plutôt de la provocation — elle remontait aussi son soutien-gorge, gênée par ses regards, sans se rendre compte que son action désignait cet objet caché à Bassam, que ses mains fines sur sa propre peau, attrapant la bretelle, écartant l’étoffe pour y placer les doigts puis lui imprimant un léger mouvement vers le haut accentué par le bruit involontaire de l’élastique laissaient perler la sueur au front de Bassam, qui ne pouvait détacher ses yeux du creux de ces épaules, de ces salières ou plutôt poivrières que barrait la blancheur de l’étoffe secrète et pourtant si visible, et Bassam se léchait l’index, il se léchait inconsciemment l’extrémité de l’index avant d’écraser, pour qu’elles y adhèrent, les miettes de forêt-noire disséminées dans l’assiette, sans rien dire, tout à sa contemplation ; Elena essayait de désamorcer par le langage ce piège visuel, elle articulait, elle gesticulait en paroles pour faire en sorte que le regard de ce gamin se redresse de vingt-cinq degrés, qu’il passe de sa poitrine à son visage, comme il est de coutume chez les gens qui ne se connaissent pas mais son désir, ces seins et cette main qui se prenaient dans le tissu inspiraient tant de honte à Bassam qu’il était incapable de fixer Elena, car ç’aurait été comme regarder en face ses propres pensées, son être et toute son éducation qui l’empêchaient à la fois de relever la tête et de profiter réellement, en douce comme le font les Européens, du spectacle extraordinaire, de l’excitation que provoque la chasteté alors que, malgré elle, elle se dément, se nie en dévoilant, à l’imagination de celui qui la contemple, ce qu’elle essaye de cacher.

Перейти на страницу:

Все книги серии Domaine français

Zone
Zone

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза

Похожие книги

Измена в новогоднюю ночь (СИ)
Измена в новогоднюю ночь (СИ)

"Все маски будут сброшены" – такое предсказание я получила в канун Нового года. Я посчитала это ерундой, но когда в новогоднюю ночь застала своего любимого в постели с лучшей подругой, поняла, насколько предсказание оказалось правдиво. Толкаю дверь в спальню и тут же замираю, забывая дышать. Всё как я мечтала. Огромная кровать, украшенная огоньками и сердечками, вокруг лепестки роз. Только среди этой красоты любимый прямо сейчас целует не меня. Мою подругу! Его руки жадно ласкают её обнажённое тело. В этот момент Таня распахивает глаза, и мы встречаемся с ней взглядами. Я пропадаю окончательно. Её наглая улыбка пронзает стрелой моё остановившееся сердце. На лице лучшей подруги я не вижу ни удивления, ни раскаяния. Наоборот, там триумф и победная улыбка.

Екатерина Янова

Проза / Современная русская и зарубежная проза / Самиздат, сетевая литература / Современная проза
Презумпция виновности
Презумпция виновности

Следователь по особо важным делам Генпрокуратуры Кряжин расследует чрезвычайное преступление. На первый взгляд ничего особенного – в городе Холмске убит профессор Головацкий. Но «важняк» хорошо знает, в чем причина гибели ученого, – изобретению Головацкого без преувеличения нет цены. Точнее, все-таки есть, но заоблачная, почти нереальная – сто миллионов долларов! Мимо такого куша не сможет пройти ни один охотник… Однако задача «важняка» не только в поиске убийц. Об истинной цели командировки Кряжина не догадывается никто из его команды, как местной, так и присланной из Москвы…

Андрей Георгиевич Дашков , Виталий Тролефф , Вячеслав Юрьевич Денисов , Лариса Григорьевна Матрос

Боевик / Детективы / Иронический детектив, дамский детективный роман / Современная русская и зарубежная проза / Ужасы / Боевики