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Je n’arrivais pas à m’intéresser à autre chose qu’à Judit. Elle n’était pas venue. Comment la revoir ? A priori si les deux filles suivaient le planning prévu, du moins celui que j’avais cru comprendre la veille, demain elles quittaient Tanger pour Marrakech. Une idée : je pouvais toujours passer à leur hôtel. Laisser un mot, qui sait, avec un mail et un téléphone ; j’avais un portable au crédit éternellement épuisé, mais à même de recevoir des appels. Mieux encore : lui apporter le livre (ou même plusieurs livres, tant pis pour le poids dans son sac à dos — je l’imaginais avec un sac à dos, emblème de la jeunesse européenne, plutôt qu’avec une valise à roulettes) et à l’intérieur le mot susdit. Jusqu’ici je n’avais jamais rien pris dans le stock, je lisais les bouquins qui m’intéressaient, c’est tout. Je ne pensais pas que le Cheikh Nouredine s’offusquerait pour quelques exemplaires manquants, après tout le but de l’association était la diffusion de la pensée coranique, j’œuvrais donc dans le bon sens.

Je ne voulais pas m’abaisser jusqu’à attendre toute la soirée devant leur pension qu’elles apparaissent. Il fallait que je sois ferme là-dessus, même si la tentation était grande. Le déjeuner me paraissait interminable.

En puis finalement le Cheikh s’est levé, entraînant tout le monde à sa suite ; je l’ai remercié, il m’a souri chaleureusement, j’en ai profité pour lui demander s’il pouvait m’avancer deux cents dirhams sur mon salaire du mois prochain, il m’a répondu même cinq cents si tu en as besoin, c’est pour quoi faire ? Je ne voulais pas lui mentir, je lui ai dit c’est pour faire un cadeau à une amie, et l’inviter à manger une glace, j’avais l’impression d’être un enfant, un adolescent qui demande à ses parents le prix d’une place de cinéma pour acheter des clopes, il avait l’air très heureux de ma franchise, il m’a dit aucun problème, si c’est pour une noble cause, et m’a sorti cinq billets de cent, je n’en demandais pas tant, c’était une fortune, la moitié de mon salaire. Tu fais bien ton travail, tu es l’un des nôtres, tu étudies beaucoup, tu as aussi le droit de te divertir. J’ai aimé cette amitié presque fraternelle, j’ai eu honte tout à coup de la trahir, d’une façon ou d’une autre. Bassam me regardait avec envie, le Cheikh Nouredine avait sorti ces billets sans se cacher, lui il avait droit à un autre genre de salaire, celui de la violence et du danger.

À partir du vendredi soir et jusqu’au dimanche, j’étais en week-end ; je n’avais à répondre de mon emploi du temps devant personne. Ma gratitude envers le Cheikh Nouredine disait beaucoup de ma naïveté, pour ne pas dire de ma connerie. J’avais la pensée engluée dans la confiture d’eau de rose. Comme dit le proverbe espagnol : un poil de con est plus solide qu’un fer à béton. Je suis repassé à la Diffusion en même temps que tout le monde, ils se préparaient pour une réunion dont j’étais dispensé, tant mieux ; une fois n’est pas coutume, au lieu de s’installer tranquillement sur les tapis, ils se sont enfermés dans le petit bureau du Cheikh, avec des airs de conspirateurs. Je supposais bien que cela avait à voir avec l’attentat dont m’avait parlé Bassam hier, mais j’étais incapable d’imaginer qu’il pouvait s’agir d’une action réelle, et encore moins de la violence la plus cynique et paranoïaque. Le fait que le Groupe pour la Diffusion de la Pensée coranique ait pignon sur rue garantissait, croyais-je, qu’il maintienne ses activités dans les limites (lâches, il est vrai) de la loi.

J’ai pris trois livres que j’ai assez minablement emballés dans du papier journal (mais bon, le canard aussi était en arabe, hein, ça allait avec le thème) et je suis sorti. J’avais pris soin de mettre un polar dans ma poche ; si les filles n’apparaissaient pas, je passerais ma déception à claquer le pognon du Cheikh en lisant et en éclusant des bières.

Et je suis parti vers leur hôtel, bien décidé finalement à faire le pied de grue devant cette pension jusqu’à ce qu’elles apparaissent. Comme quoi, je n’avais aucune force morale.


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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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