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Je me suis réveillé au milieu de la nuit avec ces images et un instant, dans le noir, j’ai prié mentalement, mon premier réflexe contre la peur a été la prière, implorer Dieu et j’aurais tout donné pour qu’il y ait quelqu’un à mes côtés, avant de chasser, en allumant la lumière, les représentations mentales pour les remplacer par les objets familiers de ma chambre minuscule. J’ai mis longtemps à me calmer. Je me suis raccroché au visage de Judit. Elle m’avait promis qu’elle repasserait par Tanger au retour, dans cinq jours, qu’elle m’écrirait des mails pour me raconter son voyage. Le rêve terrifiant s’effaçait peu à peu avec le souvenir de Judit. Je les aurais bien accompagnées à Marrakech, je n’y étais jamais allé. C’était étrange de penser qu’elles allaient mieux connaître mon pays que moi. Mais était-ce vraiment mon pays ? Mon pays c’était Tanger, c’est du moins ce que je croyais ; mais au fond, j’avais pu m’en rendre compte dans l’après-midi, le Tanger de Judit ne coïncidait pas avec le mien. Elle voyait la ville internationale, espagnole, française, américaine ; elle connaissait Paul Bowles, Tennessee Williams ou William Burroughs, autant d’auteurs dont les noms, lointains, m’évoquaient vaguement quelque chose, mais dont j’ignorais tout. Même Mohamed Choukri, figure tangéroise, je voyais de qui il s’agissait, mais je n’en avais bien sûr jamais lu une ligne. J’ai été très surpris d’apprendre qu’on étudiait ses romans en littérature arabe moderne à l’université de Barcelone. En parlant avec Judit de Tanger, j’avais l’impression d’évoquer une ville différente, deux images, deux territoires étrangers reliés par un même nom, une erreur d’homophonie. Sans doute Tanger n’était ni l’un ni l’autre, ni les souvenirs des temps révolus de la ville internationale, ni ma banlieue, ni Tanger Med ou la Zone Franche. Toujours est-il qu’avec Judit et Elena, en me promenant tout l’après-midi et bonne partie de la soirée, après leur être pratiquement tombé dessus par hasard à deux cents mètres de leur hôtel, mon paquet sous le bras, j’avais l’étrange sensation d’être dépossédé. Finalement c’était Judit qui m’expliquait l’histoire de la vieille ville, par exemple ; c’était elle qui savait, qui cherchait des lieux, des traces, des souvenirs ; c’est elle, enfin, qui m’a offert un exemplaire en arabe du Pain nu

de Choukri, dans une librairie au hasard de la promenade. J’essayais de montrer que je savais des choses, moi aussi ; j’essayais d’être drôle, au moins, d’avoir l’air intelligent, mais le peu d’agilité de mon français à l’oral et son ignorance totale du marocain me rendaient pataud, un peu brutal, sans nuances ; j’avais l’impression de passer parfois franchement pour un débile. Alors je m’évertuais à essayer de communiquer en arabe classique, là je pouvais briller, mais même si elle comprenait plutôt pas mal et prononçait très bien, j’avais un peu la sensation de parler comme un journaliste de radio ou un prêcheur du vendredi, ce qui retirait à mes blagues tout naturel et spontanéité. Essayez d’avoir l’air marrant et séduisant en arabe littéraire, c’est pas du tout cuit, je vous assure ; on croit toujours que vous êtes sur le point d’annoncer une nouvelle catastrophe en Palestine ou de commenter un verset du Coran. Pourtant, Judit paraissait s’intéresser à moi ; elle me posait des questions sur ma famille, je lui ai raconté que mon père était rifain, qu’il venait d’un village à côté de Nador et que ma mère était arabe, de Tanger, qu’elle avait grandi à Casa Barata. Je n’avais aucune envie de m’étendre sur le sujet, mais il fallait bien en passer par là. Nombre de frères et sœurs. Études, lycée. Goûts, loisirs. Religion. Évidemment, problème ; comment dire que j’étais musulman pratiquant, sans passer pour un ennemi des femmes occidentales, plutôt rétrograde. Il y avait l’option Bassam, qui consistait à chanter les louanges de l’Islam pendant des heures jusqu’à obtenir la conversion ou la mort d’ennui de l’Infidèle. J’ai opté pour sortir une banalité du genre “La Foi est dans le cœur de chacun” ou “Toutes les choses chantent les louanges de leur Créateur”, ce qui sonnait bien et moins pompeux en arabe, et changer de sujet. Judit a acquiescé. Elena devait encore avoir dans la tête son interminable discussion avec Bassam la veille et m’en a su gré. Elle ne parlait d’ailleurs pas beaucoup, et il fallait que je sois attentif à ce que ma passion pour son amie ne l’exclue jamais de la conversation. Fiancée, copine ? Au moins aussi difficile que le sujet précédent ; j’ai repensé à Meryem un instant, j’ai dit plus pour le moment, ce qui laissait entendre que j’avais une certaine expérience des femmes tout en étant disponible. Malin.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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