Cette nuit-là, alors que j’avais passé la fin de l’après-midi et la soirée avec Judit, alors que j’étais certes triste de l’avoir laissée à nouveau mais surtout heureux de l’avoir revue, j’ai eu mon premier cauchemar, enfin mon premier vrai cauchemar de l’âge adulte. Pas un rêve érotique qui m’aurait permis de retrouver celle que je venais de quitter mais un songe atroce, où apparaissait mon petit frère aperçu le matin même, des visions infernales qui allaient se répéter plus ou moins à l’identique jusqu’à aujourd’hui ; la matière du rêve varie peu, sa forme est plus mouvante — la violence, la couleur, les images de la peur persistent, on ne s’y habitue jamais, malgré la fréquence : la pendaison, qu’on me pende moi-même ou que je tombe sur un corps pendu encore gigotant ; la mer parcourue soudain d’un courant rouge de plus en plus épais qui finit par me noyer alors que je me baigne ; le viol, où des vieillards squelettiques me forcent en riant sans que je puisse bouger ou crier, toutes ces scènes interrompues à leur point culminant par un réveil essoufflé ou se poursuivant au contraire éternellement, la longue agonie de la contemplation d’un cadavre familier flottant dans l’air, la nage éperdue dans des vagues de sang : celles qui ont été témoins de mon sommeil me racontent que je peux gémir longtemps, recroquevillé les bras contre la tête ou me tourner et me retourner en poussant des cris étouffés. L’ordre des séquences peut varier, certaines s’absenter quelque temps puis revenir, à l’improviste, sans que je n’aie jamais réussi à comprendre la raison de leur réapparition.