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J’ai raconté tout cela à Mounir, sans aborder les détails les plus troubles, et même à lui, qui était tout sauf religieux, j’ai réussi à transmettre un peu de l’énergie du Cheikh Nouredine, il avait hâte de le rencontrer. J’espérais secrètement que le but de son voyage était l’ouverture d’un bureau-librairie à Barcelone dont j’aurais pu m’occuper, comme à Tanger ; cela expliquerait pourquoi il avait repris contact. J’imaginais une petite boutique dans le Raval, avec des livres en espagnol, en arabe et pourquoi pas, en français — un miracle. Une librairie dont le fonds aurait été constitué majoritairement d’ouvrages venus d’Arabie, mais avec une ou deux étagères de polars et un rayon d’hommage à Casanova, enfin, un lieu qui me ressemblerait. Oui bien sûr, j’étais clandestin et recherché, mais dans mon rêve je me voyais inscrire ce petit business au nom de Judit et rester là, des années, dans l’odeur si particulière — encre, poussière, vieilles pensées — des bouquins, confiant dans le fait que la maréchaussée ne s’intéresse que peu à la chose écrite et, en général, laisse les libraires plutôt tranquilles, comme ici, aujourd’hui, on ne m’emmerde que très peu dans ma bibliothèque : c’est le seul espace de liberté du coin, où parfois même les matons viennent discuter le bout de gras. Peu de lecteurs, beaucoup de livres. Bien sûr notre taule est loin d’être la plus importante de toutes les centrales d’Espagne, mais c’est sans doute une des plus modernes ; autour de moi les chiens déambulent dans les couloirs.

La vie c’est la tombe, c’est la rue des Voleurs, Terminus Nord, une promesse sans objet, des mots vides.

L’arrivée du Cheikh Nouredine a coïncidé avec le diagnostic de la tumeur de Judit. Le médecin soupçonnait que les allergies, la sinusite ou Dieu sait quelle dépression pouvaient être les symptômes d’une affection plus grave ; ses parents avaient payé le scanner de leur poche pour éviter les lenteurs de la Sécurité sociale et le résultat était tombé, quelque chose grandissait sur le côté de son cerveau. Il fallait encore attendre pour savoir si cette “chose” était soignable, opérable, maligne, bénigne, s’il y avait un espoir ou si son pronostic vital était engagé

, comme disent les toubibs — j’ai encaissé la nouvelle comme une beigne. Judit me l’a pourtant annoncée avec douceur, comme si elle était plus préoccupée par moi que par elle-même, un effet de la maladie peut-être. Sa mère avait du mal à retenir ses larmes, ses yeux semblaient vibrer continuellement. Judit allongée sur son canapé me prenait gentiment la main, et j’avais envie de chialer moi aussi, de crier, de prier, je pensais ya Rabb
, n’emporte pas Judit vers la mort, s’il te plaît, tu ne peux pas prendre toutes les femmes que j’ai aimées, je repensais à Meryem, peut-être était-ce moi qui leur transmettais la maladie de la mort, pitié Seigneur, laissez vivre Judit, j’aurais facilement troqué mon existence merdique contre sa vie, mais je savais bien que l’échange ne valait pas.

En rentrant je suis passé consulter Internet, j’ai regardé des dizaines de pages sur les tumeurs cérébrales, il y avait de tout, d’horribles descriptions de l’évolution des symptômes dans certains cas, de belles histoires de guérison dans d’autres, je me disais c’est impossible, Judit a vingt-trois ans, d’après telle statistique les cancers graves sont très rares à cet âge, c’est sûr, tout cela n’est qu’une fausse alerte, et j’étais tellement pris par cette errance macabre dans les descriptions des recoins de la mort que je suis arrivé en retard à mon rendez-vous avec Nouredine, près de la place de Catalogne, essoufflé, tendu, triste et inquiet.

Le Cheikh n’avait pas changé, il était attablé en terrasse devant un café, l’air noble, bien habillé ; un jeune type l’accompagnait, le crâne rasé, une barbe noire ; il s’est levé à mon approche et s’est jeté dans mes bras : Bassam, Bassam nom de Dieu, la joie m’a pris, Bassam, ça alors, Bassam, il m’a dit Lakhdar mon frère, m’a serré sur sa poitrine et pour un peu j’en oubliais de saluer Nouredine qui rigolait en voyant la chaleur de nos retrouvailles, j’ai dit Bassam mon vieux même ta mère ne te reconnaîtrait pas, il a répondu et toi avec tes cheveux blancs, on dirait que tu es devenu meunier. Ça fait du bien de te voir, merci à Dieu.

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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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