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Tout ému j’ai donné aussi l’accolade au Cheikh — et aussitôt nous ne savions plus quoi nous dire, par où commencer. Bassam s’était rassis, il ne souriait plus ; il avait le regard dérangeant des aveugles ou de certains animaux aux yeux effrayés et fragiles qui paraissent toujours fixer le lointain. Le Cheikh Nouredine a commencé à m’interroger sur ma vie à Barcelone ; il voulait savoir de quelle façon j’étais arrivé jusqu’ici. Je leur ai raconté à peu près mes aventures ; bien sûr je leur ai caché la fin de l’épisode Cruz. Lorsque j’ai évoqué l’incendie de la Diffusion de la Pensée coranique, le Cheikh a hoché le chef avec une moue de dégoût : la lâche vengeance d’un impie, d’une raclure qui a profité de notre absence pour s’en prendre au Livre lui-même, quel déshonneur. Il avait laissé échapper cette phrase à brûle-pourpoint, avec des accents de colère dans la voix — je me suis soudain rappelé le libraire, sa surprise muette lorsqu’il m’avait vu débarquer dans son magasin ; il s’était peut-être vengé. C’était possible. La vie n’est qu’une suite de fausses réponses et de malentendus.

Bassam continuait de se taire ; il balançait de temps en temps la tête, dévisageait les passants, regardait les jambes des filles, les yeux toujours aussi vides.

J’avais une pleine malle de questions pour Bassam et Nouredine — j’ai osé lancer la première, que s’était-il passé, pourquoi avaient-ils disparu tout à coup ? Le Cheikh a eu un air de surprise, mais c’est toi qui n’étais plus là, fils. Quand nous sommes revenus de cette réunion à Casablanca, j’ai découvert nos locaux incendiés — tu n’avais pas laissé d’adresse. Nous t’avons même soupçonné un moment. Puis j’ai appris par Bassam (il s’est un peu secoué en entendant son nom, comme s’il se réveillait) que tu avais une relation avec une jeune Espagnole et que tu étais parti sans laisser de traces. Sur un ton de reproche, avant d’ajouter mais c’est de l’histoire ancienne, nous t’avons pardonné.

J’étais tellement abasourdi que j’ai cherché dans ma mémoire le souvenir d’une réunion à Casablanca, sans succès. Je me suis tout de même excusé de ce malentendu ; j’ai dit que j’avais pris peur après l’attentat de Marrakech et l’incendie.

Le Cheikh a balayé tout cela d’un geste de la main.

J’ai compris que je n’en apprendrais pas plus.

J’ai demandé à Bassam où il était pendant tout ce temps ; il m’a regardé avec ses yeux vides, ses yeux d’aveugle, ses yeux de chien. C’est Nouredine qui a répondu à sa place : il était avec moi, en train de parfaire sa formation.

Bassam a hoché la tête.

Puis le Cheikh nous a invités à déjeuner dans un restaurant libanais près de la place de l’Université. Bassam suivait. C’était un fantôme — il était peut-être épuisé par le décalage horaire, j’ai pensé.

Il a repris du poil de la bête devant la bouffe : au moins il n’avait pas perdu l’appétit, ça m’a rassuré. Il a ingurgité une assiette de hoummous, une salade et trois brochettes comme si sa vie en dépendait ; un vague sourire s’affichait sur son visage, entre deux bouchées.

Pendant le repas, nous avons surtout discuté politique, comme d’habitude, comme aux temps de la Diffusion ; la victoire de l’Islam aux élections en Tunisie et en Égypte était une grande nouvelle ; en Syrie, il prévoyait une défaite du régime à moyen terme, in cha’ Allah, après une guerre sanglante. Curieusement, il n’a pas parlé du Maroc, comme si ce terrain avait cessé de l’intéresser. Je lui ai demandé ce qui l’amenait en Espagne — rien de spécial, m’a-t-il répondu. Une réunion d’associations caritatives, de donateurs. Un dîner de gala. Dans un palace. Avec des footballeurs du Barça. À l’initiative de la Reine d’Espagne.

J’étais sur le cul. Nouredine dans un hôtel de luxe avec des Princes pour une soirée de charité.

La fondation pour laquelle je travaille à présent a toutes sortes d’activités, a-t-il ajouté en souriant.

J’ai demandé à Bassam combien de temps il comptait rester ; il s’est secoué, comme si ma question le surprenait, avant de répondre je ne sais pas, quelques jours au moins.

Ça c’était une bonne nouvelle.


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Zone
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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSPar une nuit décisive, un voyageur lourd de secrets prend le train de Milan pour Rome, muni d'un précieux viatique qu'il doit vendre le lendemain à un représentant du Vatican pour ensuite — si tout va bien — changer de vie. Quinze années d'activité comme agent de renseignements dans sa Zone (d'abord l'Algérie puis, progressivement, tout le Proche-Orient) ont livré à Francis Servain Mirkovic les noms et la mémoire de tous les acteurs de l'ombre (agitateurs et terroristes, marchands d'armes et trafiquants, commanditaires ou intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite…). Mais lui-même a accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l'a jeté dans le cycle enivrant de la violence.Trajet, réminiscences, aiguillages, aller-retour dans les arcanes de la colère des dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident les souvenirs du passager de la nuit. Le train démarre et, avec lui, commence une immense phrase itérative, circulatoire et archéologique, qui explore l'espace-temps pour exhumer les tesselles de toutes les guerres méditerranéennes. Car peu à peu prend forme une fresque homérique où se mêlent bourreaux et victimes, héros et anonymes, peuples déportés ou génocidés, mercenaires et témoins, peintres et littérateurs, évangélistes et martyrs… Et aussi les Parques de sa vie intérieure : Intissar l'imaginaire, la paisible Marianne, la trop perspicace Stéphanie, la silencieuse Sashka…S'il fallait d'une image représenter la violence de tout un siècle, sans doute faudrait-il choisir un convoi, un transport d'armes, de troupes, d'hommes acheminés vers une œuvre de mort. Cinquante ans après La Modification de Michel Butor, le nouveau roman de Mathias Enard compose un palimpseste ferroviaire en vingt-quatre "chants" conduits d'un seul souffle et magistralement orchestrés, comme une Iliade de notre temps.Né en 1972, Mathias Enard a étudié le persan et l'arabe et fait de longs séjours au Moyen-Orient. Il vit à Barcelone. Il a publié deux romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003) — Prix des cinq continents de la francophonie, 2004 — qui paraît en Babel, et Remonter l'Orénoque (2005). Ainsi que, chez Verticales, Bréviaire des artificiers (2007).

Матиас Энар

Современная русская и зарубежная проза
Rue des Voleurs
Rue des Voleurs

LE POINT DE VUE DES ÉDITEURSC'est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d'épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d'espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l'âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C'est avec elle qu'il va "fauter", une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.Commence alors une dérive qui l'amènera à servir les textes — et les morts — de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l'amour et les projets d'exil.Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l'auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l'heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s'embrase, l'Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l'énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille. Parcours d'un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d'improbables apaisements, dans un avenir d'avance confisqué, qu'éclairent pourtant la compagnie des livres, l'amour de l'écrit et l'affirmation d'un humanisme arabe.Mathias Énard est l'auteur de quatre romans chez Actes Sud : La Perfection du tir (2003, prix des Cinq Continents de la francophonie), Remonter l'Orénoque (2005 ; adapté au cinéma en 2012 par Marion Laine sous le titre À cœur ouvert avec Juliette Binoche et Edgar Ramirez), Zone (2008, prix Décembre 2008 ; prix du Livre Inter 2009) et Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants (2010, prix Goncourt des lycéens 2010).

Матиас Энар

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