Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

La souffrance est une. On parle de la souffrance, comme l’on parle du plaisir, mais on en parle quand ils ne nous possèdent pas, quand ils ne nous possèdent plus. Chaque fois qu’ils entrent en nous, ils nous causent la surprise d’une sensation nouvelle, et nous devons reconnaître que nous les avions oubliés. Ils sont nouveaux, car nous le sommes : nous leur apportons chaque fois une âme et un corps un peu modifiés par la vie. Et pourtant la souffrance est une. Nous ne connaîtrons d’elle, comme nous ne connaîtrons du plaisir, que quelques formes toujours les mêmes, et nous en sommes les prisonniers. Il faut expliquer cela : notre âme, je suppose, n’a qu’un clavier restreint, et la vie a beau faire, elle n’en obtient jamais que deux ou trois pauvres notes. Je me rappelle l’atroce fadeur de certains soirs, où l’on s’appuie aux choses comme pour s’y abandonner, mes excès de musique, mon besoin maladif de perfection morale, qui n’était peut-être qu’une transposition du désir. Je me rappelle certaines larmes, versées lorsque, vraiment, il n’y avait pas de quoi pleurer ; je reconnais que toutes mes expériences de la douleur tenaient déjà dans la première. J’ai pu souffrir davantage, je n’ai pas souffert autrement ; et d’ailleurs, chaque fois qu’on souffre, on croit souffrir davantage. Mais la douleur ne nous apprend rien sur sa cause. Si j’avais cru quelque chose, j’aurais cru être épris d’une femme. Seulement, je n’imaginais pas laquelle.

Je fus mis au collège de Presbourg. Ma santé n’était pas très bonne ; des troubles nerveux s’étaient manifestés ; tout cela avait retardé mon départ. Mais l’instruction reçue à la maison ne paraissait plus suffisante, et l’on pensait que mon goût pour la musique contrariait mes études. C’est vrai qu’elles n’étaient pas brillantes. Elles ne furent pas meilleures au collège ; j’étais un élève très médiocre. Mon séjour dans cette académie fut d’ailleurs extrêmement bref ; je passai à Presbourg un peu moins de deux ans. Bientôt, je vous dirai pourquoi. Mais n’allez pas vous imaginer des aventures étonnantes : il ne se passa rien, ou du moins rien ne m’arriva.

J’avais seize ans. J’avais toujours vécu replié sur moi-même ; les longs mois de Presbourg m’ont enseigné la vie, je veux dire celle des autres. Ce fut donc une époque pénible. Lorsque je me tourne vers elle, je revois un grand mur grisâtre, le morne alignement des lits, le réveil matinal dans la froideur du petit jour, où la chair se sent misérable, l’existence régulière, insipide et décourageante, comme une nourriture qu’on prend à contrecœur. La plupart de mes condisciples appartenaient au milieu dont je sortais moi-même, et j’en connaissais quelques-uns. Mais la vie en commun développe la brutalité. J’étais choqué par celle de leurs jeux, de leurs habitudes, de leur langage. Rien n’est plus cynique que les causeries des adolescents, même et surtout lorsqu’ils sont chastes. Beaucoup de mes condisciples vivaient dans une sorte d’obsession de la femme, peut-être moins blâmable que je n’imaginais, mais qui s’exprimait bassement. De pitoyables créatures aperçues au cours des sorties préoccupaient les plus âgés de mes compagnons, mais elles me causaient une répugnance extraordinaire. J’étais habitué à envelopper les femmes de tous les préjugés du respect ; je les haïssais dès qu’elles n’en étaient plus dignes. Mon éducation sévère l’expliquait en partie, mais il y avait, je le crains, autre chose dans cette répulsion qu’une simple preuve d’innocence. J’avais l’illusion de la pureté. Je souris de penser que c’est souvent ainsi : nous nous croyons purs tant que nous méprisons ce que nous ne désirons pas.

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