Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

Et ce fut alors que cela eut lieu, un matin pareil aux autres, où rien, ni mon esprit, ni mon corps, ne m’avertissaient plus nettement qu’à l’ordinaire. Je ne dis pas que les circonstances me surprirent elles s’étaient déjà présentées sans que je les accueillisse, mais les circonstances sont ainsi. Elles sont timides et infatigables ; elles vont et viennent devant notre porte, toujours semblables à elles-mêmes, et il dépend de nous que nous tendions la main pour arrêter ces passantes. C’était un matin comme tous les matins possibles, ni plus lumineux, ni plus voilé. Je marchais en pleine campagne, dans un chemin bordé par des arbres ; tout était silencieux comme si tout s’écoutait vivre ; mes pensées, je vous l’affirme, n’étaient pas moins innocentes que cette journée qui commençait. Du moins, je ne puis me souvenir de pensées qui ne fussent pas innocentes, car, lorsqu’elles cessèrent de l’être, je ne les contrôlais déjà plus. En ce moment, où je parais m’éloigner de la nature, il me faut la louer d’être partout présente, sous la forme de nécessité. Le fruit ne tombe qu’à son heure, lorsque son poids l’entraînait depuis longtemps vers la terre : il n’y a pas d’autre fatalité que ce mûrissement intime. Je n’ose vous dire cela que d’une façon très vague ; j’allais, je n’avais pas de but ; ce ne fut pas ma faute si, ce matin-là, je rencontrai la beauté...

Je rentrai. Je ne veux pas dramatiser les choses : vous vous apercevriez vite que je dépasse la vérité. Ce que j’éprouvais n’était pas de la honte, c’était encore moins du remords, c’était plutôt de la stupeur. Je n’avais pas imaginé tant de simplicité dans ce qui m’épouvantait d’avance : la facilité de la faute déconcertait le repentir. Cette simplicité, que le plaisir m’enseignait, je l’ai retrouvée plus tard dans la grande pauvreté, dans la douleur, dans la maladie, dans la mort, je veux dire dans la mort des autres, et j’espère bien un jour la retrouver dans ma mort. Ce sont nos imaginations qui s’efforcent d’habiller les choses, mais les choses sont divinement nues. Je rentrai. La tête me tournait un peu ; je n’ai jamais pu me rappeler comment je passai la journée ; le frémissement de mes nerfs fut lent à mourir en moi. Je me souviens seulement de mon retour dans ma chambre, le soir, et de larmes absurdes, nullement pénibles, qui n’étaient qu’une détente. J’avais confondu toute ma vie le désir et la crainte ; je ne ressentais plus ni l’un ni l’autre. Je ne dis pas que j’étais heureux : je n’avais pas assez l’habitude du bonheur ; j’étais seulement stupéfait d’être si peu bouleversé.

Tout bonheur est une innocence. Il faut, même si je vous scandalise, répéter ce mot qui paraît toujours misérable, car rien ne prouve mieux notre misère que l’importance du bonheur. Pendant quelques semaines, je vécus les yeux fermés. Je n’avais pas abandonné la musique ; je sentais au contraire une grande facilité à me mouvoir en elle ; vous connaissez cette légèreté que l’on éprouve au fond des rêves. Il semblait que les minutes matinales me libérassent de mon corps pour le reste du jour. Mes impressions d’alors, si diverses qu’elles fussent, sont une dans ma mémoire : l’on eût dit que ma sensibilité, n’étant plus bornée à moi seul, se fût dilatée dans les choses. L’émotion du matin se prolongeait dans les phrases musicales du soir ; telle nuance des saisons, telle odeur, telle ancienne mélodie dont je m’épris alors sont demeurées pour moi d’éternelles tentatrices, parce qu’elles me parlent d’un autre. Puis, un matin, il ne vint plus. Ma fièvre tomba ce fut comme un réveil. Je ne puis comparer cela qu’à l’étonnement produit par le silence, quand la musique a cessé.

Je dus réfléchir. Naturellement, je ne pouvais me juger que d’après les idées admises autour de moi : j’aurais trouvé plus abominable encore de ne pas avoir horreur de ma faute que de l’avoir commise ; je me condamnais donc sévèrement. Ce qui m’effrayait surtout, c’était d’avoir pu vivre ainsi, être heureux pendant plusieurs semaines, avant d’être frappé par l’idée du péché. Je cherchais à me rappeler les circonstances de cet acte ; je n’y parvenais pas ; elles me bouleversaient beaucoup plus qu’au moment où je le vivais, car en de tels moments je ne me regardais pas vivre. Je m’imaginais avoir cédé à une folie passagère ; je ne voyais pas que mes examens de conscience m’eussent rapidement mené à une folie bien pire : j’étais trop scrupuleux pour ne pas m’efforcer d’être le plus malheureux possible.

Перейти на страницу:

Похожие книги

Книжный вор
Книжный вор

Январь 1939 года. Германия. Страна, затаившая дыхание. Никогда еще у смерти не было столько работы. А будет еще больше.Мать везет девятилетнюю Лизель Мемингер и ее младшего брата к приемным родителям под Мюнхен, потому что их отца больше нет – его унесло дыханием чужого и странного слова «коммунист», и в глазах матери девочка видит страх перед такой же судьбой. В дороге смерть навещает мальчика и впервые замечает Лизель.Так девочка оказывается на Химмель-штрассе – Небесной улице. Кто бы ни придумал это название, у него имелось здоровое чувство юмора. Не то чтобы там была сущая преисподняя. Нет. Но и никак не рай.«Книжный вор» – недлинная история, в которой, среди прочего, говорится: об одной девочке; о разных словах; об аккордеонисте; о разных фанатичных немцах; о еврейском драчуне; и о множестве краж. Это книга о силе слов и способности книг вскармливать душу.

Маркус Зузак

Современная русская и зарубежная проза