Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

J’avais, dans ma chambre, un de ces petits miroirs d’autrefois, qui sont toujours un peu troubles, comme si des haleines en avaient terni la glace. Puisque quelque chose de si grave avait eu lieu en moi, il me semblait naïvement que je devais être changé, mais le miroir ne me renvoyait que mon image ordinaire, un visage indécis, effrayé et pensif. J’y passais la main, moins pour en effacer la trace d’un contact que pour m’assurer que c’était bien moi-même. Ce qui rend peut-être la volupté si terrible, c’est qu’elle nous enseigne que nous avons un corps. Auparavant, il ne nous servait qu’à vivre. Maintenant, nous sentons que ce corps a son existence particulière, ses rêves, sa volonté, et que, jusqu’à notre mort, il nous faudra tenir compte de lui, céder, transiger ou lutter. Nous sentons (nous croyons sentir) que notre âme n’est que son meilleur rêve. Il m’est arrivé, seul, devant un miroir qui dédoublait mon angoisse, de me demander ce que j’avais de commun avec mon corps, avec ses plaisirs ou ses maux, comme si je ne lui appartenais pas. Mais je lui appartiens, mon amie. Ce corps, qui paraît si fragile, est cependant plus durable que mes résolutions vertueuses, peut-être même que mon âme, car l’âme souvent meurt avant lui. Cette phrase, Monique, vous choque sans doute plus que ma confession tout entière : vous croyez en l’âme immortelle. Pardonnez-moi d’être moins sûr que vous, ou d’avoir moins d’orgueil ; l’âme ne me paraît souvent qu’une simple respiration du corps.

Je croyais en Dieu. J’en avais une conception très humaine, c’est-à-dire très inhumaine, et je me jugeais abominable devant lui. La vie, qui seule nous apprend la vie, nous explique par surcroît les livres : certains passages de la Bible, que j’avais lus négligemment, prirent pour moi une intensité nouvelle ; ils m’épouvantèrent. Parfois, je me disais que cela avait eu lieu, que rien n’empêcherait que cela ait eu lieu, et qu’il fallait m’y résigner. Il en était de cette pensée comme de celle de la damna-lion : elle me calmait. Il y a un apaisement au fond de toute grande impuissance. Je me promis seulement que cela n’arriverait plus ; je le jurai à Dieu, comme si Dieu acceptait les serments. Ma faute, pour témoin, n’avait eu qu’un complice et celui-ci n’était plus là. C’est l’opinion d’autrui qui confère à nos actes une sorte de réalité ; les miens, n’étant sus de personne, n’en avaient guère plus que les gestes accomplis en rêve. J’aurais pu, tant mon esprit fatigué se réfugiait dans le mensonge, finir par affirmer que rien n’avait eu lieu : il n’est pas plus absurde de nier le passé que d’engager l’avenir.

Ce que j’avais éprouvé n’était rien moins qu’un amour ; ce n’était pas même une passion. Si ignorant que je fusse, je m’en rendais bien compte. C’était un entraînement que je pouvais croire extérieur. Je rejetais la responsabilité tout entière sur celui qui l’avait seulement partagée ; je me persuadais que ma séparation d’avec lui avait été volontaire, qu’elle était méritoire. Je savais bien que ce n’était pas vrai, mais enfin, ç’aurait pu l’être : notre mémoire est notre dupe aussi. À force de nous répéter ce que nous aurions dû faire, nous finissons par trouver impossible que nous ne l’ayons pas fait. Le vice consistait pour moi dans l’habitude du péché ; je ne savais pas qu’il est plus difficile de ne céder qu’une fois, que de ne céder jamais ; expliquant ma faute comme un effet des circonstances, où je me promettais de ne plus m’exposer, je la séparais en quelque sorte de moi-même pour n’y plus voir qu’un accident. Mon amie, il faut tout vous dire : depuis que je m’étais juré de ne plus la commettre, je regrettais un peu moins de l’avoir une fois goûtée.

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