Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

Un soir, à Presbourg, peu de temps après la mort de ma sœur, je rentrai plus désemparé qu’à l’ordinaire. J’avais beaucoup aimé ma sœur. Je ne prétends pas que sa mort m’affligea outre mesure ; j’étais trop tourmenté pour être très ému. La souffrance nous rend égoïstes, car elle nous absorbe tout entiers c’est plus tard, sous forme de souvenir, qu’elle nous enseigne la compassion. Je rentrai un peu moins tôt que je ne me l’étais promis ; mais je n’avais pas fixé d’heure à ma mère ; elle ne m’attendait donc pas. Je la trouvai, quand je poussai la porte, assise dans l’obscurité. Ma mère, dans les derniers temps de sa vie, se plaisait à demeurer sans rien faire, aux approches de la nuit. Il semblait qu’elle voulût s’habituer à l’inaction et aux ténèbres. Son visage, je suppose, prenait alors cette expression plus calme, plus sincère aussi, que nous avons lorsque nous sommes tout à fait seuls et qu’il fait complètement noir. J’entrai. Ma mère n’aimait pas qu’on la surprît ainsi. Elle me dit, comme pour s’excuser, que la lampe venait de s’éteindre, mais j’y posai les mains : le verre n’en était même pas tiède. Elle s’aperçut bien que j’avais quelque chose : nous sommes plus clairvoyants, quand il fait noir, parce que nos yeux ne nous trompent pas. En tâtonnant, je m’assis près d’elle. J’étais dans un état d’alanguissement un peu spécial, que je connaissais trop bien ; il me semblait qu’un aveu allait couler hors de moi, involontairement, à la façon des larmes. J’allais peut-être tout raconter quand la servante entra avec une autre lampe.

Alors, je sentis que je ne pourrais plus rien dire, que je ne supporterais pas l’expression que prendrait le visage de ma mère, lorsqu’elle m’aurait compris. Ce peu de lumière m’épargna une faute irréparable, inutile. Les confidences, mon amie, sont toujours pernicieuses, quand elles n’ont pas pour but de simplifier la vie d’un autre.

J’avais été trop loin pour m’en tenir au silence ; je dus parler. Je dépeignais la tristesse de mon existence, mes chances d’avenir indéfiniment reculées, la sujétion où mes frères me retenaient dans la famille. Je pensais à une sujétion bien pire, dont j’espérais me délivrer en partant. Je mis, dans ces pauvres plaintes, toute la détresse que j’aurais mise dans un autre aveu, que je ne pouvais faire, et qui m’importait seul. Ma mère se taisait ; je compris que je l’avais persuadée. Elle se leva pour gagner la porte. Elle était faible et fatiguée ; je sentis combien il lui était pénible de ne pas me dire non. C’était peut-être comme si elle avait perdu un second enfant. Je souffrais de ne pouvoir lui donner la vraie cause de mon insistance ; elle devait me croire égoïste j’aurais voulu lui dire que je ne m’en irais pas.

Le lendemain, elle me fit appeler ; nous parlâmes de mon départ comme s’il avait toujours été convenu entre nous. Ma famille n’était pas assez riche pour me faire une pension ; je devrais travailler pour vivre. Afin de me faciliter les débuts, ma mère me donna, en grand secret, une somme prise sur son argent personnel. Ce n’était pas une somme importante, mais elle nous le parut à tous deux. Je l’ai remboursée en partie, dès que cela me fut possible, mais ma mère est morte trop vite ; je n’ai pu m’acquitter tout à fait. Ma mère croyait à mon avenir. Si jamais j’ai désiré un peu de gloire, c’est parce que je savais qu’elle en serait heureuse. Ainsi, à mesure que disparaissent ceux que nous avons aimés, diminuent les raisons de conquérir un bonheur que nous ne pouvons plus goûter ensemble.

Перейти на страницу:

Похожие книги

Книжный вор
Книжный вор

Январь 1939 года. Германия. Страна, затаившая дыхание. Никогда еще у смерти не было столько работы. А будет еще больше.Мать везет девятилетнюю Лизель Мемингер и ее младшего брата к приемным родителям под Мюнхен, потому что их отца больше нет – его унесло дыханием чужого и странного слова «коммунист», и в глазах матери девочка видит страх перед такой же судьбой. В дороге смерть навещает мальчика и впервые замечает Лизель.Так девочка оказывается на Химмель-штрассе – Небесной улице. Кто бы ни придумал это название, у него имелось здоровое чувство юмора. Не то чтобы там была сущая преисподняя. Нет. Но и никак не рай.«Книжный вор» – недлинная история, в которой, среди прочего, говорится: об одной девочке; о разных словах; об аккордеонисте; о разных фанатичных немцах; о еврейском драчуне; и о множестве краж. Это книга о силе слов и способности книг вскармливать душу.

Маркус Зузак

Современная русская и зарубежная проза